1. Dans cette lecture de l'évangile, frères très chers, vous l'avez entendu : après la naissance du roi du ciel, le roi de la terre fût troublé car la grandeur terrestre est bouleversée lorsque la grandeur céleste se révèle. Mais nous devons nous demander pourquoi, à la Naissance du Rédempteur, un ange apparut aux bergers en Judée et pourquoi ce ne fut pas un ange mais une étoile qui conduisit les mages de l'Orient pour venir l'adorer ? Pour les Juifs évidemment éclairés par la révélation divine, c'est un être vivant raisonnable, ici un ange, qui devait les informer. Les païens au contraire qui ne connaissaient pas cette révélation sont amenés à la connaissance du Seigneur non par une voix mais par des signes. De là aussi le mot de saint Paul : «Les prophètes sont donnés aux croyants et non aux incroyants, les signes aux incroyants et non aux croyants.» (I Cor 14,22). Donc aux bergers parce que croyants ont été donnés des prophètes; aux mages parce qu'incroyants des signes. Remarquons bien que la prédication des apôtres concernant notre Rédempteur lorsqu'il avait atteint l'âge parfait s'adressait aux païens eux-mêmes, mais lorsqu'il était petit Enfant ne parlant pas encore par sa Bouche humaine, il fut annoncé aux païens par une étoile; il était assurément raisonnable que les prédicateurs nous parlent pour nous faire connaître le Seigneur lorsqu'Il parlait, alors que des éléments silencieux l'annonçaient lorsqu'Il ne parlait pas encore.
2. Mais avec tous les signes qui apparurent soit à la Naissance, soit à la Mort du Seigneur, considérons combien fut grande la dureté de coeur de certains Juifs qui ne le reconnurent ni par les prophéties, ni par les miracles. En effet toute la création attesta la venue de son Créateur. Car pour en parler par manière humaine, la création reconnut en Jésus le Dieu du ciel puisqu'elle s'empressa d'envoyer une étoile. La mer le reconnut aussi puisqu'elle s'offrit à ses Pieds comme un chemin solide, la terre Le reconnut puisqu'elle se mit à trembler à sa Mort. Le soleil le reconnut puisqu'il cacha ses rayons de lumière. Les rochers et les murs le reconnurent puisqu'ils se fendirent à sa Mort. L'enfer Le reconnut puisqu'il rendit des morts qu'il retenait. Et cependant, Celui que tous les éléments insensibles reconnurent comme le Seigneur, les coeurs des Juifs infidèles ne veulent pas encore Le reconnaître comme Dieu, et, plus durs que les pierres, ils ne consentent pas à se fondre par la pénitence et refusent de reconnaître Celui que les éléments, nous l'avons dit, proclamaient Dieu par des signes ou des fractures. Pour mettre le comble à leurs fautes, ces Juifs connaissaient longtemps à l'avance Celui qui devait naître et ils Le méprisèrent quand Il fut né. Et non seulement ils savaient qu'Il devait naître, mais ils savaient aussi où Il devait naître. Interrogés par Hérode, ils lui indiquèrent en effet le lieu de sa Naissance qu'ils connaissaient par l'autorité de l'Écriture. Ils apportèrent le témoignage que Bethléem était désigné pour avoir l'honneur de la Naissance du nouveau roi; ainsi leur science fut pour eux un motif de condamnation et pour nous un soutien de notre foi. Isaac en bénissant son fils Jacob les figura bien : ayant la vue affaiblie et prophétisant, il ne reconnut pas son fils présent devant lui, mais vit dans son avenir quantité de choses; ainsi le peuple Juif qui était certainement rempli de l'esprit de prophétie, fut aveugle en ne reconnaissant pas, quand il fut présent, celui dont il avait prédit à l'avance tant de choses.
3. Mais ayant appris la Naissance de notre roi, Hérode utilise la ruse de peur d'être privé de son royaume terrestre. Il demande à être informé du lieu où on pourrait trouver l'enfant, il fait semblant de vouloir aller l'adorer avec l'intention de le tuer - comme s'il eût pu le trouver ! - Mais si grande que soit la malice humaine, peut-elle aller à l'encontre d'un projet divin ? Il est en effet écrit : «Il n'y a pas de sagesse, il n'a pas de prudence, il n' a pas de projet qui tienne devant le Roi qui venait de naître, ils Lui donnèrent des présents et furent avertis en songe de ne pas retourner voir Hérode. Il arriva donc qu'Hérode ne put trouver Jésus qu'il cherchait. En sa personne qui est représenté, sinon les hypocrites qui ne méritent jamais de trouver le Seigneur car ils font seulement semblant de le chercher ?
4. Mais il faut savoir ici que les hérétiques priscillianistes pensent que la destinée de chaque homme est gouvernée par les astres. Pour soutenir leur erreur, ils se basent sur le fait qu'une nouvelle étoile se montrât lorsque le Seigneur S'incarnât et ils pensent que la destinée de Jésus fut réglée par cette étoile nouvelle, mais si nous examinons bien les paroles de l'Évangile concernant l'étoile : «Elle vint s'arrêter au-dessus de L'endroit où était l enfant.» Ce n'est pas l'enfant qui courut vers l'étoile mais bien l'étoile vers l'enfant; si l'on peut ainsi parler, l'étoile ne dirigeait pas la destinée de l'enfant mais l'enfant qui venait d'apparaître expliquait la destinée de l'étoile. Les fidèles ne doivent pas croire qu'il existe une fatalité, comme le disent les priscillianistes. Car seul le Créateur qui a donné la vie gouverne la vie des hommes. L'homme n'a pas été crée à cause des étoiles, mais les étoiles à cause de l'homme. Vient-on à dire qu'une étoile fixe la destinée d'un homme, alors on prétend faussement que l'homme dépend de l'influence des étoiles. Sans doute lorsque Jacob en naissant tenait dans la main le pied de son frère aîné, il n'avait aucun droit à pouvoir être considéré comme l'aîné puisqu'il commençait sa vie en suivant son frère. Cependant quoique leur mère ait mis au monde l'un et l'autre de même jour et au même moment, leurs destinées furent bien différentes.
5. Mais à cela les astrologues ont coutume de répondre que l'influence d'un astre agit à un instant très précis; nous leur répliquons que le temps d'une naissance est long. Si donc l'aspect du ciel change en un instant, il est logique de dire qu'il y a autant d'horoscopes que de phases d'apparition des différentes parties du corps du nouveau-né. Les astrologues ont coutume de dire que celui qui est né sous le signe du Verseau doit au sort d'avoir dans cette vie le métier de pêcheur. Mais des pêcheurs, à ce qu'on dit la Gétulie n'en a pas. Qui donc irait affirmer que personne n'est né sous le signe du Verseau dans cette province où il n'y a pas du tout de pêcheurs ? Inversement des enfants nés sous le signe de la Balance, les astrologues disent que ce sont de futurs banquiers; mais les provinces de beaucoup de nations n'ont pas de banquiers. Les astrologues doivent donc reconnaître ou que ce signe manque chez eux ou qu'il ne produit aucun effet fatal. En Perse et chez les Francs, les rois sont désignés par la naissance. À leur naissance assurément, qui pourra dire combien d'autres enfants sont nés dans la condition d'esclaves exactement au même instant ? Et cependant les fils de rois nés sous la même étoile que des esclaves, viendront à régner, tandis que les esclaves nés en même temps mourront dans l'esclavage. Nous avons exposé cela brièvement à l'occasion de l'étoile, pour éviter de passer sous silence sans l'examiner la bêtise des astrologues.
6. Les mages offrirent de l'or, de l'encens et de la myrrhe : l'or convient aux rois, l'encens est apporté en sacrifice à Dieu et la myrrhe sert à embaumer les morts. Les mages donc, par des présents symboliques offerts à celui qu'ils adorent, prédisent par l'or sa Royauté, par l'encens sa Divinité, par la myrrhe sa Mort. Quelques hérétiques le croient Dieu mais ne croient pas du tout qu'Il soit roi universel. Ils lui offrent de l'encens mais ne veulent pas lui offrir d'or. Quelques autres estiment qu'Il est roi mais nient qu'Il soit Dieu. Ceux-ci lui offrent de l'or évidemment mais ne veulent par lui offrir d'encens. D'autres encore reconnaissent qu'Il est Dieu et roi mais nient qu'Il ait pris une chair humaine. Ceux-là lui offrent l'or et l'encens mais refusent d'offrir la myrrhe correspondant à la condition mortelle qu'Il a prise. Nous, en tous cas, offrons l'or au Seigneur qui vient de naître pour reconnaître, qu'Il est roi; offrons l'encens pour affirmer que celui qui a paru dans le temps était Dieu avant les temps; offrons la myrrhe pour affirmer que celui que nous savons impassible dans sa Divinité a été également mortel dans la même chair que nous. On peut aussi comprendre différemment l'or, l'encens et la myrrhe : l'or symbolise la sagesse comme l'a dit Salomon : «Un trésor désirable se trouve dans l'or de la sagesse.» (Pro 21,20) l'encens brûlé en l'honneur de Dieu désigne la vigueur de la prière comme en témoigne le psalmiste : «Que ma prière monte comme l'encens en ta Présence.» (Ps 140,2). Par la myrrhe est figurée la mortification de notre chair. À ce sujet la sainte Église dit, à propos de ses serviteurs combattant pour Dieu jusqu'à la mort : «Mes mains ont distillé la myrrhe.» (Can 5,5). Au roi qui vient de naître nous offrons donc l'or si devant lui nous resplendissons de la clarté de la sagesse d'en haut. Nous offrons de l'encens si nous brûlons dans notre coeur les inspirations de la chair par de saints efforts de prière de façon à être capables par un désir céleste de faire monter un parfum suave en l'honneur de Dieu. Nous offrons la myrrhe si nous mortifions les vices de la chair par l'abstinence. En effet comme nous le disons, on utilise la myrrhe pour éviter que la chair mortelle ne se putréfie. Que la chair mortelle se putréfie, cela signifie que le corps mortel s'abandonne à la pourriture de la luxure selon le mot du prophète Joël : «Les bêtes de somme pourriront dans leur fumier.» (Joël 1,17). Car que les bêtes de somme pourrissent dans leur fumier, cela signifie que les hommes charnels achèvent leur vie dans la puanteur de la luxure. Nous offrons donc la myrrhe à Dieu lorsque nous gardons ce corps mortel éloigné de la pourriture de la luxure par le sel de notre continence.
7. Les mages nous donnent un grand enseignement en retournant dans leur patrie par un autre chemin. Car, par ce qu'ils font après avoir été avertis, ils nous font certainement connaître ce que nous avons à faire, c'est que notre patrie est le paradis et qu'il nous est interdit d'y retourner par le chemin que nous avons suivi en venant, une fois que nous connaissons Jésus. En effet nous nous sommes éloignés de notre patrie par l'orgueil, la désobéissance, la recherche des biens terrestres, les repas de nourritures défendues. Mais nous devons y retourner en pleurant, en obéissant, en méprisant les biens terrestres et en refrénant l'appétit de la chair. C'est bien par une autre route que nous revenons dans notre patrie, puisque nous étant éloignés des joies du paradis par les plaisirs, nous y retournons par des lamentations. Il est donc nécessaire, frères très chers, que toujours craignant Dieu et nous méfiant de nous, nous placions devant les yeux de notre coeur d'un côté nos fautes et de l'autre le jugement d'une extrême rigueur. Pensons qu'un jour, viendra le Juge rigoureux qui nous menace du jugement et se tient encore caché. Il fait trembler les pécheurs et cependant Il attend encore. S'il diffère de venir, c'est pour en trouver moins à condamner. Punissons nos fautes avec des larmes et avec la voix du psalmiste devançons la venue du Juge par l'aveu de nos fautes. Que nulle tromperie des plaisirs ne nous abuse, que nulle vaine joie ne nous séduise. Car le Juge est proche qui a dit : «Malheur à vous qui maintenant riez car vous pleurerez et vous lamenterez.» (Luc 6,25). Salomon a dit aussi : «Le rire sera mêlé de douleur et le deuil vient après la joie.»" (Pro 14,13). Il dit encore : «J'ai tenu le rire pour un égarement et j'ai dit à la joie : pourquoi veux-tu me séduire faussement ?» (Ecc 2,2). Il dit aussi : «Où se plaît le coeur des sages ? Là où est la gravité. Où le coeur des sots ? Là où est la joie excessive.» (Ecc 7,5). Vivons donc dans la crainte des préceptes de Dieu si nous voulons vraiment célébrer la fête avec Dieu. Car le sacrifice agréable à Dieu est la douleur qu'inspire le péché. Le psalmiste en est témoin : «Le sacrifice en l'honneur de Dieu c est un esprit contrit.» (Ps 50,19). Nos péchés passés ont été enlevés lors de la réception du baptême, mais nous en avons commis beaucoup d'autres et nous ne pouvons plus être lavés de nouveau par l'eau du baptême. Donc après le baptême ne souillons pas notre vie, baptisons notre conscience par nos larmes, regagnant ainsi notre patrie par un autre chemin; nous qui en sommes sortis par la séduction des biens terrestres; après avoir été amèrement assagis, retournons à elle avec le secours de notre Seigneur Jésus Christ, qui vit et règne dans les siècles des siècles, amen.